Jean-François Carenco, préfet de l’Ile-de-France : « Un enfant nous est né, la métropole du Grand Paris ; on va le faire grandir, il sera polytechnicien »

Avec un franc-parler plutôt rare dans la haute fonction publique, ce représentant de l’Etat est convaincu du bien-fondé de la MGP. L’unanimisme et le perfectionnisme sont d’ailleurs pour lui les alliés absolus du conservatisme.

Le préfet Carenco a le tempérament pionnier. Son terrain de prédilection est la métropole. Il a notamment activement participé à la mise en place d’un modèle du genre, la métropole du Grand Lyon. Il compte bien utiliser cette expérience réussie pour transformer l’essai avec celle du Grand Paris. Pour ce faire, il a l’appui des plus hautes autorités de l’État, le contact avec les élus – tous les élus –, le sens de l’organisation d’un territoire. Il est préfet et le fait savoir, avec la certitude tranquille de ceux qui tiennent les leviers de l’État et les moyens financiers. Pour rassembler tous les acteurs avant une décision, la meilleure adresse est encore celle du bureau du préfet. Jean-François Carenco en est en tout cas convaincu, et il le démontre. Il rationalise le nouveau découpage territorial de la métropole issu de la loi Lebranchu, il dénonce avec fougue ceux qui veulent une métropole aux dimensions de l’Île-de-France, il remet sobrement à sa place Valérie Pécresse, la présidente de la région, en lui rappelant que ses pouvoirs en matière d’emploi ne sont pas extensibles, il menace clairement de traîner devant les tribunaux les départements qui sortiraient de leur champ de compétence. Lui parle-t-on de la fusion programmée des Hauts-de-Seine et des Yvelines, il lâche : “je regarde cela avec un grand sourire”.


Propos recueillis par Jean-Michel Lamy

La métropole du Grand Paris (MGP), c’est le versant institutionnel du Grand Paris. C’est un processus qui a démarré avec les affaires de transport – le réseau express, CDG express, Eole, améliorations des RER – et à la clef, des investissements de 30 milliards d’euros. Puis, à l’initiative de Manuel Valls, Premier ministre, il y a la mise en place d’un ensemble de politiques publiques denses et assez fortes, que ce soit sur la culture, le logement, les zones d’activité, les CIM (Comité interministériel), les OIN (Opérations d’intérêt national), dans l’ère urbaine de Paris, et pas dans le dessin de la métropole. À l’arrivée, il y a ce versant institutionnel, la MGP, qui recouvre l’ancienne Seine et Oise – la petite couronne et Paris.

La naissance de la MGP

L’État est légitime à s’occuper de sa région-capitale. Historiquement, c’est l’État qui a fait Paris et les villes nouvelles, mais les temps changent. L’État s’en occupe toujours, c’est le rôle du préfet. Mais il est plus que légitime qu’émerge une instance politique démocratique capable aussi de s’occuper de ce territoire, c’est la métropole du Grand Paris. Ce n’est pas l’habitude en Île-de-France d’avoir une coopération tous azimuts entre tous les acteurs concernés !

Donc ça démarre petit, et ce 22 janvier 2016, si j’ose dire, un enfant nous est né, la MGP, et on va le faire grandir. Je pense qu’il sera un grand enfant, qu’il sera polytechnicien, ce sera un génie ! Certes, il y a plein d’éléments, comme Paris-Saclay ou la zone de Roissy, qui ne sont pas dans la métropole. Certes, l’État fait naître cette affaire alors que certains disent “ça ne sert à rien, c’est une coquille vide”… Il faut juste raison garder.

“Ce n’est pas l’habitude en Île-de-France d’avoir une coopération tous azimuts entre tous les acteurs concernés !”

La France ne s’est pas faite en un jour, la MGP ne se fera pas en un jour non plus. L’État est légitime à s’occuper de cette région Île-de-France. Dans tous les pays du monde ça marche de cette façon. Partout il y a des structures participatives, démocratiques, concentrées. C’est ce qu’on essaye de faire naître, même si ça heurte un peu les gens.
Si vous allez à Saint-Arnoult, est-ce que vous vous sentez place de la Cité au cœur de Paris ? Ce débat, il a lieu partout en France. À Lyon, à Bordeaux, il y a aussi débat entre la région et la métropole. Il n’y a qu’en IdF où l’on dit “ce serait bien que la région soit la métropole”. Pierre Veltz, ancien pdg de l’établissement public Paris-Saclay, est pour. Mais “il n’est rien” : les fonctionnaires ne sont pas autorisés à donner leur avis dans un débat politique. Je suis contre cette idée. Il n’y a aucune raison…

La logique de regroupement

L’Île-de-France, pour le préfet de région, c’est Paris au service de la métropole, c’est la métropole au service de la région. Moi, en tant que préfet, comme les élus qui sont dans cet état d’esprit, je travaille pour les habitants. Je connais beaucoup d’élus qui le soir rentrent fatigués ! Quand ils n’ont plus de mandat, ils ne sont plus rien. J’ai la réputation d’être un peu jacobin, mais je défends l’idée qu’être élu c’est un vrai sacerdoce. Sinon, on n’est plus en République. Qu’est-ce que c’est que ces attaques permanentes contre la démocratie ? Vous voulez quoi ? Une bonne dictature ou une joyeuse pagaille ? La démocratie, c’est ce qui fait qu’on a une communauté de destin et qu’on est un pays envié. La “République bashing”, le “Hollande bashing”, il y en a marre.

Bon, c’est vrai, je pense qu’au plan institutionnel, on est au milieu du gué. Il y aura encore des évolutions. Il y a vraisemblablement un peu trop d’acteurs sur le terrain de jeu. La démocratie va s’exprimer. Cet enfant est né, cela va changer la donne et s’organiser autour de la MGP. Regardez les EPT (Établissement public territorial), c’est le chemin de l’évolution. Cela permet de rééquilibrer les choses. Dans la métropole, il y a 129 communes, dont Paris, et la plus petite qui a moins de 1 000 habitants.
Partout en France, les communes se regroupent soit sous la forme de communes nouvelles, soit sous la forme de communautés d’agglomération. Ça marche. Et la région IdF resterait à l’extérieur de ce mouvement. Au nom de quoi ? Le regroupement a fait ses preuves, il crée de la dynamique et à terme des économies. Dans le périmètre de la métropole, on a essayé de bâtir des regroupements de communes à hauteur de 500 000 à 700 000 habitants. Ce sont les douze EPT (Établissements publics territoriaux). Les élus ont tous voté et tous ont installé leurs sièges. Tout est en place depuis le 1er janvier. Bien sûr, les découpages sont des compromis. Il n’y a pas de solution où tout le monde est content. L’unanimisme est l’allié absolu du conservatisme !

Les douze EPT (Etablissement public territorial)

La métropole a douze frères et sœurs (les EPT) et ensemble, ils vont construire l’avenir. Les communes datent des paroisses de Saint-Martin, au IVe siècle, et vous voudriez qu’en 2100 on fonctionne de la même manière ? Regardez Londres ou Berlin. Essayons de nous en rapprocher. Que la construction ne soit pas parfaite, c’est clair. Qu’on soit au milieu du gué, je le répète. Mais vous aurez un bureau de la Métropole à 20 personnes, qui peu à peu va se prendre en main. Le perfectionnisme, c’est du conservatisme car ça n’existe pas.

Il y a des vitesses et des réalités de regroupement différentes selon les territoires, mais tout converge vers une rationalisation, non aboutie aujourd’hui je vous le concède, mais une rationalisation où ensemble des élus peuvent exprimer une volonté commune.

“Les communes datent des paroisses de Saint-Martin, au IVe siècle, et vous voudriez qu’en 2100 on fonctionne de la même manière ?”

Paris, c’est un gros EPT extrêmement abouti. D’un côté, on a mis ensemble des communes, là il y a des arrondissements. Le gouvernement a donné son accord pour transformer Paris en une collectivité territoriale sui generis où le département et la commune fusionneront. C’est de la rationalisation. Cela fait des dizaines d’années qu’on en parle. Ce gouvernement réalise ces avancées. Le monde évolue à une vitesse fantastique. Il faut que nos collectivités évoluent avec pour objectif absolu le bien-être dynamique de ses habitants.

La clarification des compétences

La nouvelle clarification des compétences entre les collectivités locales décidée par la loi ? C’est une évolution, globalement tout le monde l’a demandé. Il y a un certain nombre de compétences auxquelles tout le monde tient, notamment la culture, qui reste une compétence partagée par tous. Heureusement. Pour le reste, le Parlement – je rappelle que c’est le peuple – a essayé de dire “évitons que tout le monde s’occupe de tout, évitons les participations croisées”.

Les départements qui voudront exercer des compétences pour dépenser de l’argent et prendre des initiatives hors de leur champ ? Eh bien leurs actes seront déférés aux tribunaux. J’exercerai ce job. Ce n’est pas normal que tous les départements aillent les uns après les autres à Shanghai pour faire coucou, cela n’a pas le sens. Avant je n’avais pas le moyen de les arrêter, maintenant oui.

“Il y a un certain nombre de compétences auxquelles tout le monde tient, notamment la culture, qui reste une compétence partagée par tous”

C’est une clarification pour le citoyen : savoir qui fait quoi. Il faut un temps de discipline collective. La République c’est l’effort, c’est la règle, c’est le respect. Par parenthèse, comment je regarde le projet de fusion des départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine ? Avec un grand sourire.

Je lis certes tous les rapports de la Cour des comptes ! Elle a pour particularité de faire des vieux rapports, sur des situations anciennes par nature. Mais c’est très utile de rappeler les gens à l’ordre, je suis contre les mondes parfaits. La perfection, c’est un totalitarisme. Heureusement qu’il y a la Cour pour dire qu’il y a des dérives. Elle le fait avec un pouvoir d’influence. Parfois, les magistrats de la rue Cambon en rajoutent un peu – c’est le fonctionnement de nos institutions. Des gens peuvent être cités devant les tribunaux, mais la Cour ne le fait pas.

Il y a des erreurs, des choses inexactes. Il y a 500 000 élus en France. Est-ce que la tâche d’une douzaine d’entre eux doit retomber sur tous ? Ce n’est pas bien, ça s’appelle la “démocratie-bashing”.

La relation avec la Région

Sur le front économique, Valérie Pécresse, la nouvelle présidente de la région IdF, veut réunir une “Conférence régionale pour la croissance, l’emploi, la formation et les conditions de travail”. Je l’ai vue, on se connaît. La région n’a pas de compétence emploi, qui suppose un accord, une délégation de compétence qui n’existe pas. Je crois que ce que Valérie Pécresse a voulu dire au-delà des textes – et je suis d’accord avec elle – c’est que la situation de l’emploi nécessite un travail commun État/partenaires sociaux plus ou moins représentés par Pôle emploi/région. Sur ce terrain, je n’ai aucun doute que ça va marcher. C’est aussi la position du président de la République et du Premier ministre. Il faut travailler ensemble plus loin et plus fort. J’espère qu’on va arriver à mettre en œuvre tout cela dans le mois qui vient. Manuel Valls rencontre en ce moment chacun des présidents de région, je les laisse discuter.

La mission du préfet

Comment je définis ma mission ? Un préfet par nature a mission de rassembler par et pour la République. C’est un moine prêcheur du rassemblement, pour une République tolérante, ouverte, laïque.

Le préfet c’est l’incarnation, dans le territoire où le chef de l’État l’a nommé, des valeurs de la République. C’est lui qui rappelle que la République n’exclut pas, ne divise pas.

Ensuite, un préfet c’est celui qui applique les politiques publiques décidées par le gouvernement. Comme il le fait dans un territoire, c’est nécessairement en bonne intelligence avec les élus.

Dans les missions à Paris, il y a effectivement le rôle d’aménageur. On a réinventé les CIM, les OIN, on s’occupe des aéroports, du train, je me sens la mission de faire en sorte que Paris, sa métropole, sa région, soient les acteurs majeurs du développement de la France. Les préfets croient à leur pays. Je vais faire en sorte avec les moyens financiers qui me sont donnés par le gouvernement, les moyens réglementaires et légaux qui me sont donnés par les lois, les moyens d’influence qui me sont donnés par ma mission, de rassembler et de faire les transformations utiles au développement.

“Un préfet c’est un moine prêcheur du rassemblement, pour une République tolérante, ouverte, laïque. Le préfet c’est l’incarnation, des valeurs de la République. C’est lui qui rappelle que la République n’exclut pas, ne divise pas”

Un préfet ça rassemble, ça trouve des solutions, y compris quand une société peut faire faillite. Il s’agit alors de rassembler tous les moyens pour que l’activité redémarre. Je le fais avec les administrateurs judiciaires et les tribunaux de commerce. Lorsqu’Airbus Group veut lancer un satellite, on se parle. Lorsqu’il s’agit de développer FedEx à Roissy, on fait une réunion dans mon bureau.

Sur les Jeux Olympiques, j’ai une lettre de mission. C’est une fête du sport, et à plus long terme, si l’on gagne la candidature, c’est au moins aussi bon que la Coupe du monde de 1998 pour le moral de la France. Il faut anticiper et améliorer un certain nombre d’aménagements. J’en ai la charge. Je travaille avec les élus. S’il s’agit de déplacer une ligne électrique ou de construire le village olympique, il faut le faire ensemble, et le seul endroit où les moyens techniques et financiers de l’État sont là, c’est la préfecture.

Pour l’Exposition universelle je pense que c’est bien s’il y a un continuum avec les JO. Pascal Lamy est en train de concevoir cette approche. C’est l’homme en France qui pense le plus “international”. Le Premier ministre m’a demandé de me mettre derrière lui, ce que je vais faire.

Bio express
Aménageur
Le préfet Jean-François Carenco est trop pudique pour se réclamer de l’héritage de “Paul Delouvrier”, ce préfet nommé en 1961 délégué général du District de la région parisienne, que le général de Gaulle chargea de mettre “de l’ordre dans ce bordel”. Mais c’est bien le sens de la mission qui lui est confiée par François Hollande et Manuel Valls depuis 2015. Jean-François Carenco sera un aménageur. Énarque et HEC – comme le président de la République –, passé par les différents cabinets ministériels de Jean-Louis Borloo, il a acquis un sens de la mesure qui s’accompagne d’un franc-parler assez rare dans la haute fonction publique.